Dans le calme des vacances aoûtiennes la Ministre de l’Environnement Mme Pompili vient de répondre positivement à la demande des betteraviers d’utiliser pour la prochaine campagne des semences enrobées de néonicotinoïdes (NEONIC) .
Le Ministère a annoncé une modification législative cet automne pour permettre explicitement, pour la campagne 2021 et le cas échéant les deux campagnes suivantes tout au plus, le recours à l’article 53du règlement européen n°1107/2009 pour pouvoir prendre au moment des semis une dérogation de 120 jours pour les semences enrobées de NEONIC.
Quel est la réglementation :
L’UE avait décidé en avril 2018 d’interdire pour les cultures de plein champ l’utilisation de trois substances (clothianidine, thiaméthoxame et imidaclopride), objet de restrictions depuis 2013. La France dans le cadre de la loi Biodiversité de 2016 à introduit l’interdiction des néonicotinoïdes à partir du premier jour du mois de septembre 2018. Un décret d’application précisait que les cinq substances jusqu’alors autorisées en Europe pour des usages phytosanitaires étaient concernées (les trois visés par l’UE, plus thiaclopride et acétamipride).
Déjà les agriculteurs concernés par ces usages, dont en premier les betteraviers, s’élevaient contre cette décision demandant du temps pour développer des alternatives. Ils viennent de nouveau de réclamer 3 ans alors qu’ils ont déjà eu 2 ans pour cela.
Il est intéressant de rappeler le texte de l’amendement interdisant les NEONIC présenté au vote de l’Assemblée par Mme Delphine Batho et soutenu par Mme Pompili : « Les molécules insecticides de la famille des néonicotinoïdes agissent sur le système nerveux central des insectes. Leur caractère systémique leur donne la propriété d’être présents dans la totalité de la planté durant toute sa vie.
A la suite de l’action menée par la France la Commission Européenne a restreint l’utilisation de trois substances actives de la famille des néonicotinoïdes. Malgré ces avancées, cinq molécules restent actuellement autorisées en France (imidaclopride, thiaclopride, clothianidine, thiaméthoxame et acétamipride) et présentent une toxicité aiguë, notamment pour les abeilles. La toxicité de l’imidaclopride est ainsi 7297 fois supérieur à celle du DDT. La corrélation est également établie en ce qui concerne l’impact du taux d’imidaclopride sur la population des invertébrés et des oiseaux. De plus, l’Agence Européenne de Sécurité des Aliments estime que deux de ces molécules « peuvent avoir une incidence sur le développement du système nerveux humain ».
C’est pourquoi, afin de protéger la santé humaine et la biodiversité, et particulièrement les abeilles, l’environnement et la santé, il est proposé de prolonger l’action de la France par l’interdiction de ces substances dangereuses.
Tout cela avait été largement démontré dans de nombreuses études scientifiques dont :
Effets sur la santé :
* une toxicité neurologique chez les mammifères, des anomalies morphologiques du développement cérébral et des troubles du comportement; cela a conduit l’EFSA en 2013 à émettre un avis, dans lequel elle reconnaît le danger de deux néonicotinoides qui peuvent affecter de façon défavorable le développement des neurones et des structures cérébrales associées à des fonctions telles que l’apprentissage et la mémoire
* une perturbation endocrinienne chez les mammifères et l’oiseau touchant principalement la thyroïde.
* une génotoxicité et cytotoxicité humaines ouvrant la voie à la cancérogenèse et à la mutagenèse (1)
* une carcinogènicité du thiaclopride, classé C2 en 2003 par l’EPA et en 2013 par l’agence européenne ECHA
* une toxicité cellulaire sur des cellules humaines des formulations commerciales contenant de l’imidaclopride ou de l’acétamipride associant la substance active avec ses adjuvants, jusqu’à 1000 fois plus grande que celle de la substance active seule (2)
Effets sur l’environnement et la biodiversité :
Une importante méta-analyse – 800 études sur 20 ans – portant sur l’effet des néonicotinoïdes sur de nombreuses espèces a été présenté le 24 mai 2019 à Bruxelles par la « Task Force On Systemic Pesticides »
Selon ce travail, ce sont les invertébrés terrestres, tels que les vers de terre, qui sont les plus affectés par les néonicotinoïdes. Ils sont «exposés à des niveaux élevés via le sol et les plantes, à des niveaux moyens via les eaux de surface et par lixiviation, et à des niveaux faibles via les poussières dans l’air émises par les semoirs ».
Viennent ensuite les insectes pollinisateurs, dont les abeilles et les papillons, fortement contaminés par l’air et les plantes, dans une moindre mesure par l’eau. Ils sont suivis par les invertébrés aquatiques, tels les gastéropodes d’eau douce et les puces d’eau, puis par les oiseaux. Les poissons, les amphibiens et les bactéries les talonnent.
Effet réversible ou non?
Agissant comme des neurotoxines, les néonicotinoïdes entraînent entre autres «un butinage amoindri des abeilles, des difficultés à voler et une sensibilité accrue aux maladies, et une capacité altérée du ver de terre à creuser des tunnels ». Or ces substances, dont très peu atteignent leur cible (comme pour les pesticides en général), se retrouvent en abondance dans l’environnement, bien au-delà des zones traitées.
Jean-Marc Bonmatin du Centre de biophysique moléculaire d’Orléans (CNRS), estime qu’il faudrait «quatre à cinq ans pour en nettoyer les sols», une fois leur usage interrompu. Reste qu’ils vont se retrouver dans l’eau, jusque dans les océans.
Qu’en est-il de l’impact sur les cultures sans NEONIC ?
Contrairement aux annonces catastrophiques l’interdiction de 3 NEONIC (clothianidine, thiaméthoxam et imidaclopride) en 2013 par la Commission UE n’a pas provoqué de pertes économiques significatives dans les productions.
Syngenta affirmait que la productivité dans les cultures-clés telles que le maïs, le blé d’hiver, l’orge, le colza, la betterave à sucre et le tournesol pourrait diminuer de 40%. L’ECPA (European Crop Protection Association) affirmait des pertes potentielles de rendement pouvant aller jusqu’à 10% en colza et céréales, 30% en betterave sucrière et 50% en maïs.
En réalité les chiffres des statistiques de récoltes ne montrent pas de diminution après l’interdiction de 2013 soit : (en quintaux par hectare)
– Pour le maïs : 2013 = 82 ; 2014 = 101 ; 2015 = 90
– Pour le Colza : 2013 = 30 ; 2014 = 37 ; 2015 = 34,3
On dispose de comparaisons intéressantes pour le Royaume-Uni (3), le Canada (4), l’Italie (5), les États-Unis et l’Union Européenne (6). Enfin, l’Allemagne en a interdit l’usage sur céréales d’hiver est continue d’être le second producteur européen de céréales.
La filière sucrière :
La filière betteraves est en difficulté pour plein de raisons, mais pas tant au départ pour des questions d’insecticides.
Suite à la réforme de l’OCM Sucre en 2006 et la réduction des quotas de production l’industrie sucrière française a connu un mouvement de restructuration sans précédent avec en 2008/2009 la fermeture de 5 usines sur trente. Les Sté sucrières sont passées de 12 en 2005/2006 à 7 en 2013/2014.
L’OCM sucre va connaître une deuxième réforme substantielle à partir d’Octobre 2017 avec la suppression des quotas et du prix minimal garanti de la betterave
La Coopérative TEREOS est le premier concurrent des producteurs français, c’est aussi le 3ème producteur de sucre Brésilien. (49 sites de production en Europe, Amérique latine, Afrique et Océan Indien, Chine et Indonésie) et on appelle ça une coopérative, avec tous les avantages fiscaux du statut de coopérative.
La production se re-concentre sur des territoires restreints (production en hausse et fermeture d’usine dans certaines régions Bourgogne, Puy de Dôme ) donc concentration des difficultés par raccourcissement des rotations de cultures et densification des surfaces dans les territoires de production. (même pb que pour le colza). Les insectes sont le symptôme, la maladie c’est ce qui précède !
Quant au développement technique, on a cherché le tonnage, et les avantages fiscaux pour écouler en l’éthanol vers les agrocarburants, éthanol de blé et de betteraves sont des impasses techniques et économiques… Et les aides PAC ont un peu baissé pour cause de convergence…(convergence socialement logique dans ce cas, plus que pour le lait en Bretagne ou Basse-Normandie).
Pendant ce temps la France ne produit pas de sucre bio, en tout cas en métropole. Le sucre bio de betterave européen vient d’Allemagne, d’Autriche et de Suisse, avec 10 000 tonnes …
Quand la fin des quotas de production a été annoncée la CGB (Confédération Générale des planteurs de Betteraves) jubilait…
Libre pour augmenter la production. Ils ont vite déchanté avec la baisse des prix mondiaux.
Existe-t-il des alternatives à l’usage des néonicotinoïdes ?
Les alternatives existent. Elles nécessitent de repenser les modes de production en plaçant les cultures dans un écosystème lié à la nature, comportant des ravageurs mais aussi des alliés (les auxiliaires). La santé des plantes ne peut être pensée de façon isolée de son environnement.
Il faut :
– des parcelles de taille raisonnables (maxi 5ha) entourées de haies,
– des rotations de culture assez longues( mini 3 ans),
– maîtriser la fertilisation avec des apports d’azote limités,
– utiliser diverses méthodes de lutte biologique,
– des décoctions de plantes(PNPP) et des huiles essentielles,
– la conservation des habitats des auxiliaires (ce qui nécessite de raisonner à l’échelle du paysage).
Ces méthodes utilisées en Bio peuvent permettre de mieux réguler les populations de pucerons. Et, si ces méthodes ne sont pas assez efficaces, en culture conventionnelles des insecticides moins dangereux que les néonicotinoïdes sont déjà homologués et utilisables.
GB