Bonnes gens restez confinés ! L’Etat veille.
Depuis l’instauration de l’état d’urgence le 23 mars 2020 plusieurs décrets, sans rapport direct avec la pandémie, ont été pris en toute discrétion.
Le premier date du 8 avril 2020. (le décret)
Il décrète que :
« Le préfet de région ou de département (peut déroger à des normes) arrêtées par l’administration de l’État pour (prendre des décisions non réglementaires) relevant de sa compétence dans les matières suivantes:
- Subventions, concours financiers et dispositifs de soutien en faveur des acteurs économiques, des associations et des collectivités territoriales ;
- Aménagement du territoire et politiques de la ville ;
- Environnement, agriculture et forêts ;
- Construction, logement et urbanisme ;
- Emploi et activité économique ;
- Protection et mise en valeur du patrimoine culturel :
- Activités sportives, socio-éducatives et associatives. »
Dans l’article 2 il est précisé :
« La dérogation doit répondre aux conditions suivantes :
- Être justifiée par un motif d’intérêt général et l’existence de circonstances locales;
- Avoir pour effet d’alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l’accès aux aides publiques ;
- Être compatible avec les engagements européens et internationaux de la France;
- Ne pas porter atteinte aux intérêts de la défense ou à la sécurité des personnes et des biens, ni une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé. »
Dans un communiqué de presse Mr CASTANER (Ministre de l’intérieur à ce moment là) nous informe qu’une expérimentation de 2 ans 1/2 a eu lieu depuis 2017 dans 17 départements. Durant cette période, 183 arrêtés ont été pris. Les exemples qu’il cite font passer les préfets pour des bons samaritains qui viennent au secours de pauvres enfants sans classe d’école.
Pour finir il justifie sa décision en précisant que :
« Le bilan de l’expérimentation a fait l’objet de discussions avec les délégations aux collectivités locales, de l’Assemblée nationale et du Sénat et a été jugé très positif. La mesure est appréciée, opérationnelle, utile. »
Deux sénateurs ont rédigé le rapport du Sénat sur cette expérimentation (rapport)
Petit problème, le ministre annonce 183 arrêtés et seul 61 ont été transmis au Sénat !!
Répartition matérielle des arrêtés préfectoraux de dérogation (au 20 mars 2019) | |
Matières | Nombre d’arrêtés préfectoraux |
Subventions, concours financiers et dispositifs de soutien en faveur des acteurs économiques, des associations et des collectivités territoriales | 34 |
Aménagement du territoire et politique de la ville | 0 |
Environnement, agriculture et forêts | 19 |
Construction, logement et urbanisme | 4 |
Emploi et activité économique | 2 |
Protection et mise en valeur du patrimoine culturel | 0 |
Activités sportives, socio-éducatives et associatives | 2 |
61 |
34 concernent des subventions mais 19 concernent l’Environnement, agriculture et forêts. Ces 19 arrêtés sont supposés contourner les normes et réglementations concernant ces domaines. Quid de l’engagement écologique de nos gouvernants ?
Les associations environnementales se sont tout de suite élevées contre cette possibilité de passer outre les normes et réglementations surtout environnementales. (Reporterre, Corinne LEPAGE de CAP21)
Les arrêtés pris dans ce contexte peuvent présenter des failles juridiques qui au lieu d’alléger les procédures risquent de les allonger
« …services de l’État et destinataires se sont inquiétés des risques d’insécurité juridique pesant sur des projets ayant fait l’objet d’une dérogation. Les préfets entendus ont ainsi indiqué qu’ils avaient renoncé à certaines dérogations de crainte qu’elles ne subissent un contentieux qui, en définitive, aurait provoqué un allongement des délais applicables au projet. »
Ce décret soulève un important paradoxe :
- Il pourrait ouvrir une faille dans le principe d’égalité qui, je vous le rappelle, est inscrit dans la constitution.
- Il donne l’impression d’un État arbitraire prenant des décisions différentes en fonction des demandeurs et des collectivités territoriales.
Conclusion :
Si une norme ou une réglementation nécessite l’emploi d’une dérogation, c’est qu’il y a un problème dans la réglementation (ou norme) soit dans la rédaction soit dans le processus d’application.
L’utilisation d’une dérogation s’apparente à « un cautère sur une jambe de bois » et la solution serait plutôt de mettre à jour ou de corriger le texte et de s’organiser pour traiter les dossiers sans paralyser le fonctionnement du pays et donner la responsabilité de la décision à un homme – le préfet – qui n’est pas un élu et se trouve soumis à des pressions locales.